Voyager le rêve


Rêver, ça a commencé très tôt. Gravé à mi-chemin entre l’inconscient et le conscient, le rêve, c’est une sorte d’instinct viscéral de retrouver une émotion inscrite plus tôt dans sa mémoire. Pour certains, c’est de monter Le Mont-Blanc, de sentir les fleurs de mai au Japon, de se retrouver face au Taj Mahal ou de monter en avion de chasse. On a tous une mythologie fabriquée par nos films, lectures, BD et rencontres de notre enfance.

Il y avait d'accumulés dans mon sous-sol des encyclopédies, des romans, des récits d’explorations, de navigation et l’immense carte du monde de mon père. Les mêmes histoires, ma mère m’encourageait à les lire, ça passait de Cousteau à Tintin et au Capitaine Haddock jusqu’à Thalassa... La force de la culture maritime française encodée chaque semaine en 60 minutes sur TV5 monde, une vraie messe à la maison. Je traînais donc en moi des images de voiles, de mâts, de mers et d’océans ... Toute une culture maritime à explorer. Je m’en approchais un peu plus près, l’été le long du Saint-Laurent, en traversier de Matane à Godbout avec le Camil Marcoux ou à Saint-Siméon, les Zodiaques à Tadoussac et Sept-îles et sur les berges de Métis-sur-mer devant l’horizon et les cargos et quelques monocoques en navigation. C’est le plus près que je connais et en même temps, très loin de ce que j’aurai pu rêver.




« Là encore le déterminisme généalogique s’impose, 

on ne choisit pas ses lieux, on est requis par eux ».  *



À l’époque des longs congés universitaires, où j’avais un peu plus de temps pour rêver, penser et réfléchir aux voyages, j’avais convenu de voyager autrement. Surtout, ne pas faire comme les autres, pour voir autrement, explorer l’inconnu d’un monde que j’imaginais inhabituel et selon mes normes.

Voyager différemment pour moi à l’époque, c’était de visiter les citées lycéennes perdues au milieu de la Turquie, rêver du nord Norvégien, loin des selfie-sticks et des autobus voyageurs. Parce que même aujourd’hui, j’ai beaucoup de misère avec l'acte violent que de se foutre au milieu d’une foule devant une presque certaine fausse copie de la Mona-Lisa. Mais bon, parait qu’il faut le faire, je l’ai fait par peur de ressentir un certain regret. J'ai surtout entretenu beaucoup plus de plaisir à m'arrêter dans d'autres sections aussi riches du Louvre pour mieux amasser et grandir une mémoire esthétique. Devant la foule de touristes, aucun plaisir, ennui pour finalement se demander si c’est réellement significatif que d’avoir une photo cadrée de soi devant ou derrière une masse de chinois en contrefait.

Je crois davantage dans la valorisation des chemins instinctifs et différents, de la géographie unique et mémorielle, des rencontres fortuites et instructives, des détours imprévus, des histoires à partager et surtout aux mémoires uniques des voyageurs grandis d'expériences et perspectives toutes aussi fortes et enrichissantes plutôt que de la force d'une culture du « must do et Top 10 ».

Voyager différemment en quels points ? 

Est-ce que la mer peut ouvrir la porte sur des plaisirs inconnus ? 

Est-ce un défi qui change une personne et les a priori ? 

Le bateau, c’est a porté de main ?





Puis un jour, on passe à l’acte pour réaliser son rêve avant de mourir et parce que c’est quoi vivre si ce n’est que d’exister dans le moment présent…



Une recherche Google plus tard et on s’inscrit sur tous les sites d’annonces de voyages maritimes, de voiles et de cabotages. Puis on attend, on étudie les possibles, s’informe davantage sur les avenues et avenues pour apprendre à naviguer et de parcourir mers et océans… On reconnaît les cycles, les grandes routes, les tours du monde d’est en ouest, les combinaisons pensables, destinations préférées, tracés sécuritaires, etc.


« Passer à l’acte, c’est transformer les icônes et 

concepts précédemment célébrés en images réelles. » *


À Tahiti, j’étais certain qu’en commençant ici, on maximisait nos chances de trouver ce dont je rêvais: un bateau de l'est en quête d’équipage. Refuge cyclonique pendant l’été austral, notre hiver québécois, c’est exactement le genre de port d’attache où on a le plus de chance de tomber sur l’équivalent du conducteur qui nous prend sur le pouce.

Laurent et Marie nous trouvent. On s’amarine au catamaran, embarque dans un nouveau monde et réussit donc à mettre le pied dans une nouvelle réalité. Ensemble, on effleure une culture nouvelle, la voile, la vie à bord et à bâbord.

En mer, on est immédiatement réduit aux sensations nouvelles, mal ordonnées, puisque complètement inconnues et, on doit se l’admettre, loin de toutes attentes et a priori. L'horizon est maintenant un repère physiologique plus que géographique, le vent gère tout et à toute heure du jour et de la nuit, les vagues, on s'y habitue forcément.

Finalement, on se rassure aussi en se comprenant que la distance à parcourir subjective et personnelle pour s'adapter à la mer tire beaucoup moins d'effort que la somme des découvertes des îles, paysages et cultures qu'on va rencontrer sur notre trajet.

Entre temps, on se fait offrir de partir vers l’Est, un détour sur notre itinéraire, le temps de voir et de profiter des atolls des Tuamotu. Autrement, on ne les aurait jamais vus. 

« Il serait dommage que vous n’y passiez pas, puisque le temps et la météo est favorable, c'est l’occasion parfaite. »

Vers l'Ouest, on croisera les Cooks, Niue, Tonga, Fidji, Vanuatu et Nouvelle Calédonie.  Cette année, en navigation, on prévoit davantage d’avancées significatives et rapides sous un vent La Nina. Pour consulter notre trajet, cliquez ici. 

Voyager à la voile est donc un pied dans le vide, la satisfaction d'une curiosité ; la foi personnelle et la preuve que la capacité de vivre et d'exister aux travers de ses rêves et aspirations personnels est à la fois donné à tous et en même temps, le meilleur des accomplissements que l'on peut offrir et s'offrir.

Chaque matin, en quittant la voiture de mes parents pour me rendre à l'école primaire, ma mère me répétait et me faisait répéter : « Je suis capable ».

« Je suis capable, maman. » 


| Pierre-Alexandre 

Citations issues : Michel Onfray : Théorie du voyage, Poétique de la géographie. 2006.

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